« Liberté, égalité, fraternité,… Ce ne sont pas que des mots ! »

Publié le : 03/10/2018 03 octobre oct. 10 2018

Le Conseil Constitutionnel, dans une décision très remarquée du 27 août 2018, vient de se prononcer sur les effets juridiques liés au concept de fraternité inséré dans la devise de la République. Le contexte est le suivant : le code de l'entrée et du séjour des étrangers réprime l'aide directe ou indirecte à la circulation ou au séjour d’un étranger en France. Cependant, le texte prévoit des exceptions, lorsque l'aide est le fait de proches de l'étranger (Ascendants, descendants, conjoint, etc.) ou de toute personne physique ou morale lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci. Le problème est que la loi a prévu cette exception seulement pour le délit d'aide au séjour irrégulier, mais pas à l'entrée ni à la circulation irrégulière d'un étranger en France. Autrement dit, si un proche, résidant régulièrement en France, aidait son ascendant, son descendant, ou son conjoint, à séjourner en France, on ne pouvait pas le poursuivre ; par contre, lorsque cette aide concernait l'entrée ou la circulation en France, alors l'exception ne jouait plus, et la condamnation pénale était encourue. C'est dans ce contexte qu'une personne poursuivie a posé une question prioritaire de constitutionnalité, liée au non respect du principe de fraternité, lorsqu’un proche d'un étranger est  poursuivi pour l'aide à l'entrée ou la circulation. La Cour de Cassation, dans un arrêt de la chambre criminelle du 9 mai 2018, a considéré la question suffisamment sérieuse pour la renvoyer au Conseil Constitutionnel. Le Conseil Constitutionnel a, à cette occasion, affirmé que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle, en se fondant sur l'article 2 de la Constitution qui énonce que la devise de la République est : « Liberté, Egalité, Fraternité. » et sur l'article 72–3 du préambule de la Constitution qui évoque « l'idéal commun de liberté, d'égalité, et de fraternité. » Le raisonnement du Conseil Constitutionnel ne paraît pas sérieusement contestable, et il est vrai que la loi qui a instauré des exceptions aux poursuites, dans un but humanitaire, était difficilement compréhensible lorsque cette exception s'appliquait uniquement au délit de séjour irrégulier, et pas à celui d'entrée irrégulière, ni de circulation irrégulière. Ceci étant dit, la décision du Conseil Constitutionnel ouvre des perspectives dont les conséquences sont difficiles à mesurer, mais il est très probable que les plaideurs et leurs avocats s'empareront rapidement de ce nouveau principe constitutionnel, pour l'invoquer dans de nombreuses matières, devant les Juges du fond, et pourquoi pas à l'occasion d'autres questions prioritaires de constitutionnalité. On pense en particulier au domaine du Droit de la Famille du Droit à la Sécurité Sociale, du Droit Pénal ou du Droit des Contrats. Il est d'ailleurs probable que ce principe de fraternité, dont la valeur constitutionnelle vient donc d'être découverte, fera l'objet d'autres décisions, qui en préciseront les contours et probablement en limiteront les effets. Pour ce qui est de l'aide aux étrangers en situation irrégulière, le Conseil Constitutionnel a considéré que l'aide à la circulation était un accessoire du séjour, et que donc les exceptions humanitaires, dont il a précisé qu'elles devaient s'entendre de tout acte de nature humanitaire, et pas seulement ceux listés dans la loi, devait également s'appliquer au délit d'aide à la circulation d'un étranger irrégulièrement entré en France. Par contre le Conseil Constitutionnel a considéré que le principe de fraternité ne s'oppose pas  à ce que les exceptions pour des raisons humanitaires, ne s'appliquent pas à l'aide à l'entrée d'un étranger en France. L'élargissement des exceptions aux poursuites reste donc limité au délit d'aide à la circulation, l'exception humanitaire ne s'applique donc toujours pas à l'aide à l'entrée irrégulière. Cette décision est importante et le Conseil Constitutionnel a donné un délai jusqu'au 1er décembre 2018, pour permettre au législateur de reprendre la loi, celle-ci est en effet abrogée sur les points inconstitutionnels seulement à effet du 1er décembre 2018. L'autre apport essentiel de cette décision est naturellement la création du principe constitutionnel de fraternité, dont nous n'avons certainement pas fini d'entendre parler. Conseil constitutionnel décision du 27 août 2018, concernant l'article L 622–un et L622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France (CESEDA)

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